Ma nuit en boîte sur les Quais bordelais
boîtes des Quais bordelais, appareil photo et calepin à la main. Récit.
« Oui, oui, c’est ici que ça bouge le soir ! ». Nous sommes quai Armand-Lalande, à la lisière d'un singulier quartier bordelais : les Bassins à flot. Il est presque minuit. « The place to be en boîte de nuit », répètent la plupart des jeunes croisés plus tôt dans la journée. On veut bien les croire, mais aux Bassins, pendant qu’on patiente dans un Café maritime à moitié vide, même les ombres pioncent.
Pas un bruit ne s’échappe de La Dame de Shangaï (photo) ou du Deck, deux immenses clubs-péniches baignées d’une lumière blafarde façon Moulin Rouge ou Star Trek. L’eau qui dort dans l'obscurité donne au grand boulevard ferré l'air d'un fantôme. De l’autre côté des hangars, deux prostituées droites comme des i sous leurs parapluies sifflent les garçons qui passent. On patiente encore. Les clients du Café maritime semblent bien trop calmes pour aller se trémousser dans la cale d’une péniche, ou plus loin au Pier_6, cube à la lumière aveuglante façon magasin de Ipod.
Minuit trente, bientôt quarante-cinq. Au compte-gouttes, de petits groupes de gens commencent à affluer.
Un grand type, t-shirt réfléchissant, suivi de sa clique, claque la bise aux videurs de La Dame.
« Alors, Paulo, t’étais où ? » – « La tournée des Grands ducs, les gars ! On était chez Chris, à l’Azuli, au Torito, à l’Apollo, au Milo’s Café. On est passé chez deux potes aussi. » Ils sont « venus en voiture », ne boivent pas que de l’eau, et « repartiront en voiture ». Ce qui semble amuser Paulo.
« Il y a beaucoup de garçons ce soir », grommèlent Jean-Claude et Philippe, les deux videurs. « C’est pas bon, on va couler là ». Ca sonne comme un avertissement pour les meutes de mâles qui se présentent à la porte. L'une passe, puis deux : « je vais faire comme si j’avais pas vu les baskets hein ». Puis le tant redouté : « Messieurs, ça va pas être possible ».
A l’intérieur, les rythmes chaloupés de la house remplacent peu à peu la playlist NRJ. Derrière un synthé entouré de papier alu flashy, un ersatz de Jack Sparrow se met à jouer de la guitare. Le DJ coupe des morceaux que personne ne connaît, et chante (mal) sur les refrains. Bientôt, il laisse sa place à de suaves voix féminines ou d’outre-tombe : envie de sexe/ besoin de sexe, j’aime quand c’est bon et qu’il y a du gros son, i was made for loving you baby/ you was made for loving me.
Indifférents à cet effort, les gens font des allers-retours cigarette à l’air frais/ trémoussage sur le pont inférieur. 25, 30 ou 40 ans, personne ne se mélange mais tout le monde cohabite. Dans une certaine retenue, tout de même. Guindés, mais pas trop. Une brune trentenaire, la jupe légère, exhibe son cuir probablement neuf en dansant.
Un compromis, La Dame, laisse entendre ce couple de quarantenaires libournais. « Par ici, c’est vraiment pratique pour se garer. On a diné à l’étage avant de descendre danser. On ne sait pas si on restera jusqu’à la fermeture. Et pour la musique… on s’adapte ! ». Deux heures quarante-cinq du matin. L’entrée du pont inférieur de la Dame ressemble maintenant à un escalator Gare Montparnasse. On décide d’aller voir ailleurs sur le boulevard.
De drôles de personnages sur le pont
A droite, Le Deck, hacienda sur les flots, plus club que boîte, à la clientèle plus âgée et plus posée aussi. On ressent une pointe de gêne en débarquant dans un univers où tout le monde se connaît (des Chartrons, apprendra-t-on). Il n’y a pas la place pour danser de toute façon. Une curieuse scène se déroule dans l’indifférence générale.
Deux femmes court-vêtues de noir, plutôt vulgaires, dansent plus que lascivement, coupe de champagne hors de prix à la main. Elles se font tripoter tour à tour par trois hommes, chemises à moitié ouvertes, chaînes en or. Imaginer de la cocaïne au fond de leurs narines se fait sans peine. L’une des femmes se dit « commerciale », note son numéro de téléphone à tout va. Amusé, l’un des hommes crie plusieurs fois à la fille : « tu suces ce type, tu avales, je paye ma bouteille de champagne ». Elle réplique par des coups de pied, entre jeu et agressivité : « elle le fera pas », nous explique-t-il. « Que de la gueule. De toute façon c’est qu’une grosse salope ! Moi c’est ça que j’adore en soirée, traîner avec des bonnes grosses salopes ». Il reprend, après un grand rire : « Ces filles font leur beurre en nous ramenant dans les bars à hôtesses, sur les quais, après la fermeture de la boîte. Elles touchent 25% sur chaque bouteille ».
Derrière, sans un regard pour cette scène digne d’un mauvais film érotique, Kevin, barman au Bistrot des Anges, clame son amour pour cet endroit. « C’est un lieu à part, un mélange de personnalités. Les gens sont plus ouverts ici. J’ai pu discuter avec des joueurs des Girondins, Gourcuff, Obertan, Souleymane Diawara ! ». On se crée un passage pour ressortir.
Quatre heures trente : trop tard pour aller au Pier_6, rendez-vous de la jeune bourgeoisie branchée locale, en remontant vers l’usine Lesieur.
Le premier tram va bientôt arriver, quelques voitures vrombissent de manière inquiétante pour démarrer. Ici et là, des bagarres inter-boîtes éclatent. Les videurs unissent leurs efforts : trois bombes lacrymogènes en plein sur un énergumène. « Pas le choix, il se battait avec du verre brisé », beugle l'un d'entre eux.
Deux potes de beuverie, l’air bredouilles sur le chemin du retour, lisent à voix haute des textos de leur égérie...