Rodéo bitume dans le Bordeaux méconnu
Marcher dans les terres en direction des Bassins à flot, atypique quartier de Bordeaux, offre un tout autre itinéraire que la belle courbe tracée par le tram. Pour découvrir la bordure de cet îlot d’hangars, il convient d’éviter les beaux quais qui s’offrent aux piétons, en s’enfonçant vers les bâtiments poussiéreux, les rues étroites sentant l’urine – et une vague odeur de végétation mouillée.
A l’angle de chaque trottoir, le ciel disparaît entre des immeubles et des garages, serrés comme des sardines. On ne devine pourtant pas les bassins, étendues d’eau si proches. L’endroit que l’on cherche à joindre pourrait tout aussi bien se trouver à des milliers de kilomètres. On continue de marcher, sans apercevoir l’horizon, rue Dupaty ou de la faïencerie. Pour arriver enfin à « l’arête » de ce gigantesque capharnaüm à ciel ouvert, où le bitume et le vent semblent seuls régner en maîtres. Saisissante enclave bordurée par de grands arbres feuillus, où le métal semble pousser dru comme l’herbe ailleurs.
On est passé dans un autre monde, et les déplacements, bien que rares, s’effectuent motorisés. Le piéton, lui, semble subitement plus petit, mais toujours aussi perdu dans un cercle de fer, d’eau croupie, de mâts sales et de béton dont on ne perçoit pas le découpage, qui semble se multiplier tout autour de la base sous-marine, entrecoupé par de fouillis blocs de verdure. Si le mouvement ne manque pas, il n’a rien d’inhabituel. Rien en tout cas qui ressemble à de la vie.
A part, peut-être, ces quatre scooters zigzagants entre les hangars 21 et 22, cachant un instant la lumière des néons des auto-écoles et autres magasins de moto qui leur servent de décor de fond. Les observant à quelques mètres, leur moteur ronronnant masqué par le vent, la ligne d’horizon est parfaitement plate et claire. Ils sont à distance égale entre la route et l’eau, donnant l’impression d’évoluer dans un entre-deux.
L’endroit parfait pour un rodéo mécanique. Les couleurs, les phares, les tenues des jeunes, que l’on découvre en fait encadrés par un moniteur de moto-école en s’approchant, sont complètement noyées dans le gris et l’imposant du parking où, roulant à grande vitesse entre les plots, ils s’exercent aux virages. Déjà repartis, après plusieurs cercles accompagnées de gesticulations muettes du moniteur, les voilà déjà repartis derrière le hangar, peut-être se réchauffer autour d’un café.
On se tourne alors vers la Garonne, cherchant à apercevoir les rails de la civilisation. Si l’on en juge par le tracé, les rails du tramway sont bien déterminés à s’inviter dans cette enclave. En attendant, pas âme qui vaille le long de la grande rue Lucien-Faure. Vestiges de docks, fumées d’usine, rares panneaux illuminés se jaugent en attendant de voir ce qu’il pourrait bien se passer.